Le compost est pour moi une boite de pandore … Après avoir
initié un compost collectif au pied de mon immeuble à Paris il y a 4 ans, un jardin partagé a pris la suite logique du
projet et enfin quelques ruches y ont été installées. Même si l’apiculteur qui
conduit notre rucher m’initie progressivement à la pratique à chacune de ses
visites, ces dernières sont trop peu fréquentes par rapport à mon appétit d’apprendre.
Aussi ai-je décidé de m’inscrire à une formation d’une semaine d’initiation à
l’apiculture.
C’est comme cela que je me retrouve en ce lundi de juin au lycée
agro-environnemental de Tilloy les Mofflaines dans la banlieue d’Arras (62). Si le lycée est public, ma chambre d’internat est quelque
peu monacale, peut-être un signe inconscient des religieux qui ont beaucoup œuvré
et écrit sur l’apiculture* ;-) La cloche sonne et nous sommes accueillis
par Sébastien, notre formateur. Il enseigne l’apiculture en formation continue et
de façon plus générale la biologie dans ce lycée, il est bien entendu apiculteur
amateur lui-même sans parler de sa participations aux activités du syndicat et du Groupement de Défense Sanitaire Apicole de la région.
Cette formation va pratiquement être du cours particulier
puisque nous ne sommes que 6 stagiaires avec
pour le moins des profils très différents, du néophyte complet aux amateurs plus
ou moins éclairés et pratiquants qui ont déjà mis un peu la main à la … ruche mais
souvent en étant accompagné. Ainsi Fanny est une future maraîchère bio qui
souhaite compléter son activité d’un atelier rucher ; Lucien est un
soudeur de métier et colombophile de passion, il vient d’acheter un terrain sur
lequel traîne une ruche et comme il a lu que la propolis permettait de soigner naturellement
les oiseaux … Olivier est employé d’une entreprise qui a installé des ruches
sur son patrimoine et enfin Jean-Yves et
Sophie enseignent dans le lycée agricole qui organise la formation. Jean-Yves a
contracté le virus de cette passion au contact de Sébastien notre formateur
notamment à l’occasion d’un voyage humanitaire apicole à Madagascar, Sophie a elle déjà 4 colonies à la maison. Notre objectif commun après cette semaine :
pouvoir conduire un rucher en autonomie.
Jour 1 Notre formation alternera théorie chaque matin et pratique
l’après-midi. Dés le premier matin on découvrira la biologie de base de
nos nouvelles amies : anatomie, cycle évolutif, organisation de la
colonie, différentes races, … Le rythme est soutenu, on en oublie la pause et
c’est bien tard que nous allons déjeuner où la formation continue dans des
discussions informelles et déjà passionnées. Bref, c’est peu dire que les
stagiaires sont motivés ! Mais place à la
pratique, après avoir enfilé nos protections et embarqué le matériel,
destination un verger où un rucher a été installé pour, au-delà de la récolte
de miel, favoriser la pollinisation de ses arbres fruitiers. L’enfumoir allumé préviendra les abeilles que nous arrivons,
on dit parfois également qu’il rassure l’apiculteur ;-) Voici enfin le
moment magique de l’ouverture de la ruche. Quel envoûtement que le vrombissement de la colonie qui suit le jet de fumée blanche. Après quelques minutes, l’appréhension
se maîtrise progressivement, enhardi j’enlève mes gants car comme tout bon
jardinier qui veut sentir sa terre, ici toucher et délicatesse des gestes sont importants.
Nous mettons des images sur la théorie du matin : de l’œuf au couvain,
réserves de pollen et de miel, … Nous nous amusons à prendre en mains les faux
bourdons parmi les abeilles. Comme un bon cavalier doit tomber mille fois, un
apiculteur se fera piquer de nombreuses fois avant d’atteindre le Graal de
saint Warré*. C’est fait, j’enlève le dard, la piqure est presque un baptême
initiatique.
Jour 2 Ce matin mon doigt a un peu gonflé mais je suis fier de
ma blessure de guerre qui prouve ma bravoure de la veille ;-) Le
calendrier apicole est au programme de ce matin. Eh oui conduire un rucher
n’est pas une sinécure, les abeilles domestiques demandent suivi et soins tout
au long de l’année. Notre enthousiasme et notre curiosité ne sont pas émoussés.
Les questions fusent, difficile pour le formateur de contenir toutes les
demandes sur des points qu’il est prévu d’aborder dans les jours à venir. L’après-midi dans un autre rucher passe vite et pourtant
nous avons ouvert une dizaine de ruches, analysé leur état (bourdonneuse,
orpheline), cherché, parfois trouvé et marqué la reine, réintroduit des
cellules royales , … Nous sommes comblés
de voir tous ces cas de figure. Pas de piqûre aujourd’hui mais je me suis brûlé
le pouce sur l’enfumoir, le métier rentre ! Et comme hier déjà, ce soir je
sens la fumée comme si j’avais passé ma journée devant un feu de bois. C’est
bien fatigué et des images d’abeilles plein la tête que je vais tomber dans les
bras non pas de Morphée mais d’Apis mellifera mellifera.
Jour 3 L’élevage de reines et les règles d’implantation du rucher
sont au menu du matin. Nous visitons l’après-midi un nouveau rucher dont
certaines ruches sont suspectées de pathologie. Le rapport de visite de la
première ruche est parfait, du couvain en masse, du pollen à revendre (nous en
récupérons d’ailleurs dans la trappe adhoc), du miel en stock et une grande
activité dans laquelle nous repérons quand même la reine qui sera marquée. Les
visites des 4 autres ruches déboucheront sur le constat de la présence d’un
virus. Comme tout animal l’abeille peut aussi souffrir de maladies. Voici un
beau cas d’école un peu en avance sur notre cours sanitaire. Les ruches malades
vont être emmenées pour être mis en quarantaine afin d’éviter la contagion.
Avec un peu de chance les avettes arriveront à combattre seules la maladie et
surviveront car à ce jour point de médicament pour soigner ce mal. Au retour
à la miellerie tout notre matériel sera désinfecté au chalumeau, à l’eau de
javel, à l’alcool …
Jour 4 Une matinée de bon goût puisqu’il sera question des produits
de la ruche. Pollen, gelée royale, propolis et bien évidemment miel. Après
avoir abordé la constitution de ces produits, leur récolte, conditionnement et
commercialisation nous dégusterons différents miels : du plus local
produit sur le site de Tilloye aux plus lointains (un miel de litchie et un
autre de framboisier en provenance de Madagascar), du plus solide (un miel de
colza) au plus liquide en passant par un crémeux (du
Queyras), quelle abnégation que celle de l’élève apiculteur ! L’après-midi se déroulera à la miellerie où nous découvrons le
matériel de récolte et de conditionnement (bac de désoperculation, maturateur
et extracteur). Comme tous les greniers, celui de la miellerie ne manque pas de
ressources. Après avoir passé en revue les nombreux modèles de ruches existant
(Dadant, Warré, Langstroth sans parler de quelques antiquités), place à
l’atelier bricolage pendant lequel nous filons des cadres puis y fixons des
plaques de cire gaufrées en y faisant circuler un courant bas voltage.
Jour 5 Dans cette ultime journée il sera question des différentes
pathologies auxquelles peuvent être confrontées les colonies. Sur les 29 agents
pathogènes qui agressent nos amies, un seul, le varroa, peut être traité avec
un médicament. Mais comme le dit Sébastien, on gère le varroa mais on ne peut
l’éradiquer. Loque américaine et européenne, mycose, nosémose et fausse teigne
finissent de nous refroidir un peu mais nous comprenons également que mieux
nous nous occuperons de nos colonies et plus elles auront la capacité d’y
résister. Avant de se quitter pour aller mettre en application notre
apprentissage nous irons enrucher 2 colonies et disperser les habitantes d’une
ruche bourdonneuse.
Une semaine riche en émotions et sensations. La découverte
d’une organisation sociale et d’une intelligence collective dont nous avons
sûrement à apprendre … mais aussi celle d’un animal aussi mystérieux
qu’attirant que Michelet qualifiait de « pontife ailé de l’hymen des
fleurs ».
*L’abbé Warré a écrit le traité « L’apiculture pour tous » et a donné son nom à un type de ruche encore appelée « ruche
populaire ». Frère Adam a créé une race hybride la Buckfast.
nb : je vous recommande ce livre qui vient de sortir :
«Une vie pour les abeilles», un échange entre Henri Clément,
apiculteur cévenol et porte parlole de l’Union Nationale de l’apiculture
française, et le journaliste Philippe Bertrand.Photo 1 Copyright Anne-Lore Mesnage
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